Pourquoi ?
Pourquoi me suis-je embarquée dans ce défi? À première vue, la réponse à cette question peut paraître simple, j’aimerais me donner un challenge, me dépasser physiquement tout comme mentalement et, de plus, accomplir une bonne action en levant des fonds pour une association. Néanmoins, la vraie motivation m’est bien plus profonde que cela.
Aujourd’hui j’ai 20 ans, et je me passionne pour la course à pied, cela m’est évident. Mais comment en suis-je arrivée là? Mon parcours n’est pas celui d’une coureuse, petite j’ai toujours pratiqué des sports d’équipe. J’ai fait du tennis, du handball, du netball jusqu’à ce que je croche sur le football. Après quelques années dans le football amateur, j’ai pu rejoindre la structure élite du Servette FCCF. Ce fut un gros challenge pour moi, je n’ai jamais été ni la plus technique, ni la joueuse avec la meilleure lecture du jeu, mais physiquement, je me donnais toujours à fond et adorais me surpasser. Quand mes coéquipières se plaignaient de devoir faire un intermittent ou du renforcement physique, moi j’étais ravie de le faire. Petit à petit, je me suis rendue compte que c’est ça que j’adorais dans le sport, me surpasser. Le football m’offrait un cadre idéal pour le faire en courant dehors et en devenant de plus en plus forte.
Mes premiers souvenirs de course à pied me viennent de l’école primaire avec chaque année en décembre, la fameuse course de l’Escalade. Je me rappelle que mon père m’emmenait m’entraîner quelques semaines avant, en courant je pense aux alentours de 1km autour de chez moi. Je me rappelle qu’à l’école notre maîtresse demandait aux participants de quelle couleur nous allions nous habiller, pour qu’elle puisse nous repérer et nous encourager le jour de la course. Et je me rappelle surtout de la fierté que j’avais, le lundi, en retournant à l’école, d’annoncer à mes amis mon temps et mon classement. C’était ma petite fierté de me rendre compte que je me débrouillais plutôt bien, surtout que je courais avec des filles qui faisaient de l’athlétisme, moi n’en ayant jamais fait. Le but n’était jamais de gagner la course, je n’étais clairement pas assez entraînée face aux autres filles, mais j’adorais me donner à fond. La course était donc quelque chose de personnel pour moi, je n’essayais pas d’être compétitive face aux autres, mon objectif était simplement de battre mon chrono de l’année précédente et j’y prenais beaucoup de plaisir. C’est donc comme ça que petit à petit j’y pris de plus en plus goût : c’était une activité amusante que je partageais avec mon père.
En m’engageant plus sérieusement dans le football, je ne pouvais plus courir aussi librement qu’auparavant. Les weekends étaient occupés par des matchs et je n’ai pas pu faire cette belle course de l’Escalade pendant quelques années. Néanmoins, je courais toujours, surtout pendant les vacances d’été et d’hiver où l’on nous donnait des programmes de renforcement et de course à faire chez nous pour nous maintenir à niveau. Cela ne me dérangeait pas, j’étais contente de le faire. Le confinement a été un moment marquant où pour la première fois depuis un moment, tous les entraînements et les matchs ont été stoppés. Je me rappelle que lorsqu’on commençait à entendre parler de ce virus et que le premier match avait été annulé un weekend, le samedi à la place, je suis allée courir mon premier semi-marathon avec mon père. Nous n’étions clairement pas préparés, aucune eau, pas de parcours fixe, et avec nous l’avons découvert une bonne montée de plus de 1km qui nous fracassa les jambes et tout ça pour finir la distance à environ 2km de la maison et devoir les marcher en boitant. Sans de bonnes chaussures, cela m’a causé une énorme cloque qui m’a embêté pendant bien deux semaines mais malgré tout, j’ai adoré. Et pareil, pendant cette période covid nous recevions un programme à faire chez soi et j’étais très fière de ne louper aucune séance, bien que personne ne l’aurait su. Je me trouvais dans le Valais, à la montagne, et autant dire que courir en altitude sur des grandes montées et descentes n’étais pas la chose la plus facile, mais encore une fois, ça m’amusait.
2022 fut une année marquante dans ma transition du football à la course à pied. J’entamais ma dernière année au Collège et dans le football d’élite étant donné que la structure se terminait en M19 et j’avais ni l’ambition, ni le niveau de me professionnaliser après cela. D’ailleurs, je commençais à complètement perdre mon amour pour ce sport. J’étais sous une pression excessive et des attentes exigeantes. Je ne jouais pas à mon meilleur niveau et je commençais à perdre plaisir. C’est en fin août, peu après la reprise des entraînements suite aux vacances d’été, que je décidai de m’inscrire au marathon de Lausanne en Octobre. Cela me laissa environ deux mois de préparation, mais ayant peu de connaissance, et pas beaucoup de temps libre pour m’entraîner à cause du football, disons que ma préparation était assez “light”. Je me rappelle avoir fait 4 sorties longues (21km, 30km et deux fois 17km). Néanmoins, j’étais en excellente forme physique grâce au football. Alors le jour J arriva et ce fut une expérience inoubliable. Je ne m’étais pas familiarisé avec le parcours, donc je ne savais pas que l’aller de 21km jusqu’à Vevey comportait beaucoup de descente et je compris vite qu’il faudrait donc que je fasse ces montées en sens inverse. Ce n’était peut-être pas le parcours le plus facile, mais j’étais simplement tellement heureuse. Résultat final, je l’ai réussi en 3h51min. J’étais la plus jeune coureuse féminine et je me trouvais même être la seule dans ma catégorie d’âge, donc je me retrouvais donc première par défaut C’est d’ailleurs la seule course que j’ai gagnée pour l’instant (mdr). C’est à ce moment-là que j’ai compris que les épreuves d’endurance en course à pied étaient vraiment mon kiff. Pour finir cette année 2022, j’ai fait des belles performances au 20km de Genève et j’ai pu enfin après 3 ans, refaire la course de l’escalade ou je suis arrivée 9ème. Encore une grande fierté face aux autres filles faisant de l’athlétisme.
Janvier 2023, un mois après tout cela, weekend ski à la montagne, un saut un peu trop haut, bim, bam, boom déchirure du ligament croisé antérieur et des deux ménisques. Fin de ma carrière de footballeuse au Servette, opération prévue en Mars, et bien 9 mois de rééducation minimum. Autant dire que j’en étais bien démoralisée, moi qui avais déjà en tête des courses pour le printemps à venir.
Ceci me mène à ma deuxième motivation pour ce projet, lever des fonds pour l’association de santé mentale Minds Genève. Cela a été sans aucun doute la période la plus compliquée de ma vie. En un instant, j’ai perdu une grande partie de mon identité, celle de sportive. S’ajoutant à cela la fin du collège, les examens de maturité et un dégoût croissant des révisions, mon état mental se dégrada considérablement. Alors que c’était l’heure de fêter la fin et la réussite de notre scolarité obligatoire, j’étais tout simplement drainée mentalement. Lorsque mon année sabbatique commença, j’étais toujours en pleine rééducation du genou. Environ 4 mois après l’opération, je pouvais enfin réapprendre à courir. Cette pratique qui m’avait tant manquée, enfin je pouvais recommencer. Sauf que je n’avais pas anticipé quelque chose. Bien que ça faisait quelques mois que je n’avais pas couru, mes allures, mes chronos, mes records, je les connaissais encore par cœur. Néanmoins, je me rappelle que le premier jour qu’on m’avait autorisé à recourir, je suis allée au bout du monde avec mon père. Il me semble que pour commencer, je devais courir sur des périodes de 1 minute en alternant avec la marche, en commençant par un total de 3 minutes de course et en augmentant petit à petit sur une période de 6 semaines. Ce premier essai m’a marqué, je me rappelle encore de la sensation, ma jambe était raide et sans la force que je connaissais précédemment, j’avais l’impression de courir sur un bout de bois. Sans mentionner que j’étais tellement lente, mon cardio avait complètement disparu et je ne me sentais aucunement athlétique. Moi qui pensais que j’allais enfin pouvoir refaire ce que j’aimais, passer de courir 231 minutes à une seule minute m’a finalement démoralisé, mon mental qui était déjà dans un sale état.
S’ensuivit le reste de ma rééducation. Je courais quand même, je faisais les exercices, je me rendais à mes rendez-vous de physio deux fois par semaine, je regagnais la force dans ma jambe, mais une chose me manquait: le plaisir. J’avais complètement perdu mon amour pour le sport et très franchement, pour la plupart des choses qui m’avaient, dans le passé, rendue heureuse dans ma vie. Je n’étais plus moi-même.
Début 2024, un an après mon accident, j’entamais la prochaine étape de ma vie : l’université. Je pris donc l’avion en direction de l’Australie pour commencer mon bachelor à l’Université de Sydney. C’était le début d’une grande aventure avec beaucoup de changements, mais tout ne se passa pas exactement comme prévu. Avant même de partir, je savais que mon état mental n’était toujours pas “réparé”. Mais à ce moment-là, je pensais que je devais faire preuve de persévérance, que je devais quand même y aller, que c’était la décision “forte” à prendre. Je ne vais pas dire que je n’aurais pas dû y aller, ce semestre m’a quand même permis d’en apprendre beaucoup, surtout sur moi-même, mais cela a définitivement été encore une fois une période compliquée où j’ai souffert de dépression et d’anxiété. Ma forme physique n’était toujours pas revenue, j’avais toujours l’impression de vivre un burn-out avec tout ce qui touchait à l’école et aux révisions, bref, je me demandais sincèrement ce que je faisais là bas, loin de ma famille, de mon copain et de mes amis.
Ceci nous mène finalement à la création de ce projet : 100 Limites. Je savais que je ne pouvais pas retourner à Sydney comme ça pour faire le deuxième semestre. J’avais craqué mentalement et me forcer à retourner n’était clairement pas la solution. Je savais aussi que rester à Genève sans but n’allait pas m’aider non plus. Il me fallait un projet à accomplir, quelque chose qui me tenait à cœur et qui me rendrait fière de moi-même. C’est là qu’est née l’idée de ce projet : courir 100 km. Il me faut, à cette période de ma vie, un challenge à me lancer pour me prouver que je suis capable de faire de belles choses. 100 km est une distance énorme, que très franchement je ne suis pas 100 % convaincue de pouvoir accomplir, mais je me lance. Je vais tout faire dans ma préparation pour me donner les moyens d’y parvenir. Le but n’est pas de courir vite, mais de courir loin.
Pour pouvoir clore ce chapitre de ma vie, me lancer ce défi avant de retourner à Sydney en février, ce projet ne pouvait pas simplement être un défi physique ; il fallait qu’il y ait un côté mental à tout cela. C’est pour cela que ce projet a pour but de lever des fonds pour l’association de santé mentale : Minds Genève. Après avoir discuté avec eux, j’ai apprécié les valeurs qu’ils dégageaient et j’ai décidé que c’était en bonne adéquation avec mon projet. Ils ont pour mission de faire en sorte que chacun-e puisse préserver, cultiver et entretenir sa propre santé mentale. Ils visent également à changer le regard des gens sur la santé mentale en luttant contre les tabous, les stéréotypes et les préjugés qui entourent la santé mentale. Tout le monde est concerné, moi la première. Je cherche à faire passer le message que n’importe qui peut se sentir impacté par ce qui lui arrive et avoir du mal à gérer ses émotions, ses stress et sa santé mentale. J’ai envie de détruire tout préjugé qui peut y avoir à ce sujet : que consulter une psychologue, c’est avoir un vrai problème ; que ne pas réussir à gérer les choses tout seul, c’est être faible ou encore, avoir la moindre honte à dire : je ne vais pas bien mentalement. Je consulte maintenant une psychologue et cela ne me rend que plus forte. Je cherche à mieux me comprendre, à mieux me gérer, à avoir de la compassion envers moi-même et à me reconstruire mentalement pour pouvoir attaquer le reste de ma vie avec le sourire.
100 Limites, c’est donc l’histoire d’un parcours, c’est l’histoire d’avoir une centaine de limites dans sa vie, tant physiques que mentales et de les surpasser une à une, un kilomètre par un kilomètre. Passer de 100 limites à sans limites, de 0 à 100 km.
Merci d’avoir lu mon histoire.
Abigail Cameron